lundi 4 septembre 2006

Territoire réel et virtuel

J'ai toujours été friand de technologie de communication, à ma façon. Durant mon enfance et mon adolescence ce fut surtout à titre d'auditeur ou de téléspectateur. Cela ne m'a pourtant pas empêché, à l'époque, d'organiser des pièces de théâtre dans le sous-sol de la maison et d'enrégimenter tous les enfants du voisinage pour ce faire. Rien de Shakespearien cependant. Juste un amusement par l'imitation plus souvent qu'autrement de ce qui était vu à la télé ou entendu à la radio...
Passèrent deux décennies. Puis advint l'avènement du web dont j'avais pu expérimenter avec l'ancètre du BBS dès 1975, époque où l'on travaillait encore avec des cartes perforées pour faire de l'entrée de données...

Détail d'une carte à perforer de type IBM pour faire l'entrée de données binaires en tapant les chiffres ou les les lettres sur un clavier muni d'un dispositif qui perforait des trous rectangulaires aux endroits appropriés. Pour obtenir un graphique, une courbe de données, il fallait taper des centaines de cartes. Quelle joie!
L'internet tel qu'il est devenu était l'un de ces moyens de communication dont j'imaginais que l'existence serait chouette, un de ces jours. Je n'ai jamais eu les épaules assez larges cependant pour en concevoir les prémices. L'histoire d'internet (Arpanet) est assez colossale et a requis des investissements que l'on a peine à imaginer aujoud'hui, à des fins de défense au départ. Je ne vais pas reconter cette histoire ici.

Photo de ma première page web en juin 1997, bibliothèque Centrale de Montréal.
Il y a donc neuf ans que j'ai débuté mon premier site web chez Geocities. Je faisais parti du premier million de personnes à s'y inscrire. Les chiffres d'aujourd'hui sont tellement immenses que faire partie du premier million de l'époque apparaît aujoud'hui suranné.

Coucher de soleil sur Mars, 28 août 1997
Le premier événement internet qui provoquera une panne de serveurs est sans contredit l'engouement pour voir les images du sol martien tel que vu par Pathfinder en juillet 1997, courtoisie de la NASA qui dut inventer des sites "miroirs" dans une vingtaine de pays pour désengorger son système qui recevait plus de 20 millions de visites par jour, ce qui à l'époque semblait impensable.
Je ne crois pas que le web ait atteint son rythme de croisière. Malgré les avancés technologiques indéniables, le système demeure un lieu d'expérimentation en temps réel et de façon parmanente; à partir des usages qu'en font les internautes. Cela évolue pratiquement journellement.
Ce moyen de communication n'est pas une fin en soi et demeure un moyen. Il ne règlera pas la misère du monde mais semble pouvoir la soulager, ne serait-ce que parce qu'il est maintenant possible de réunir une force politique à peu de frais et rapidement pour réagir à un problème ponctuel. C'est sûrement l'un des aspects les plus positifs de l'internet. L'internet n'est pas une démocratie et il fonctionne. Il fonctionne à partir de dynamiques qui lui sont propre, mais aussi à partir de cultures, autant de cultures issues de la démocratie que de modèles anarchiques et autres. Il s'agit à coup sûr d'un domaine d'étude d'avenir, car nos pseudo-démocraties auraient besoin d'un lifting. Le terrorisme existe aussi sur internet sous diverses formes: les hackers, les spams, les spywares, pour ne nommer que ceux-là C'est aussi un lieu de marchandisation à satiété de tout. En cela, il ne fait qu'exacerber des tendances dans nos sociétés. Il agit comme révélateur où les mouvances se font de la même façon que la mouvance des bancs de poissons, des essaims d'abeilles, etc.
Parmi les tendances à très long termes que je voient, la déterritorialisation d'internet (la virtualité) pourrait "déteindre" sur le monde réel. Ainsi lorsqu'on regarde une carte de l'Amérique du Nord, version amérindienne, on se rend bien compte de l'artificialité des frontières de maintenant. Ces cartes amérindiennes revèlent des territoires dont les divisions sont nettement plus "organiques" qu'elles ne le sont maintenant. Ces cartes représentent la division du territoire il n'y a pas si longtemps.

Carte très sommaire des grandes divisions du territoire des nations autochtones
La carte du monde à passablement changé au cours du XXe siècle. Les Amériques sont pratiquement les seuls continents où peu de choses ont bougé depuis les divisions d'il y a deux siècles. Cette stabilité des frontières qui semblent couler dans le béton devient totalement caduque en regard de ce qui se passe dans l'internet en termes d'échanges inter-régionaux. Nous n'en sommes qu'aux balbutiements d'internet qui pourrait un jour devenir l'instigateur de nouvelles frontières terrestres! Ce n'est pas demain la veille qu'une telle chose se produira et beaucoup d'éléments sont à inscrire dans la liste des ingrédients qui déclencheront la chimie d'un tel processus. Cela demeure pour le moment de la haute spéculation de ma part.
L'un des exemples les plus proches de ma réflexion est celui concernant la Californie dont les frontières changeront peut-être dans les 20 prochaines années, due à la pression démographique qui y règne. La Californie qui a déjà 34 millions d'habitants en aura 56 dans les 15 prochaines années! Il n'est pas dit qu'elle ne réussira pas à annexer les États voisins. Comment? Ce ne sera certainement pas par la force. Le climat peut être l'une des raisons de l'engouement vers la Californie, mais les emplois qui s'y sont créés notamment dans l'informatique, l'internet, les énergies alternatives depuis une bonne vingtaine d'années, avec tout ce qui devient satellitaire autour (des fournisseurs jusqu'aux nouveaux restaurants, etc.), constitue une phénoménale poussée démographique et économique. If you can't beat'em, join'em, dit le dicton.
Ce n'est pas à dire dans un premier temps que l'internet va changer la géographie des continents par la seule interaction de ses usagers, comme l'exemple donné ne l'indique pas, mais ne dit-on pas "chassez le naturel, il revient au galop"? Qu'est-ce à dire? Les frontières nord-américaines - à peu de choses près - sont farfelues: où trouve-t-on ailleurs des pays carrés et rectangulaires? Plusieurs états américains et provinces canadiennes sont des traits de crayons sur la carte. Le sentiment d'appartenance à de tels espaces carrés est de l'ordre du terrain d'un bungalow de banlieue. La réalité régionale fait en sorte que ces frontières ne sont qu'administratives. Elles ne représentent pas les échanges, la morphologie et la culture régionale. Cela ne tient souvent la route que par la propagande.
Ainsi on voit apparaître en Ontario un mouvement pour l'annexion de l'ouest de l'Ontario au Manitoba! Un autre - américain - souhaite l'annexion du Maine au Canada, sans oublier le cas du Québec bien sûr, etc. Les échanges entre les états limitrophes de l'ouest américain et les provinces canadiennes directement au nord ressemblent à s'y méprendre aux anciennes cartes des nations amérindiennes.
D'aucuns me rétorqueront que ces mouvements-là n'ont rien à voir avec l'internet. Il ne faut pas négliger l'importance qu'a le web désormais dans nos vies. Resistance is futile, disait le Borg dans Startrek TNG , belle métaphore de l'internet prétendument indestructible. L'économie marchande se sert d'internet telle une courroie de transmission de sa pathologie. Elle crée aussi les poches de résistance à la neutralisation de son pouvoir attractif, poches de résistance dont l'influence se fait sentir de diverses façons. Les espaces de réflexion, les aspects de créativité, la réorganisation des espaces communautaires virtuelles puis réelles entraîneront peut-être un autre rapport au monde où des valeurs de cœur plutôt que de fric s'immisceront dans ce processus obsessionnel de marchandisation du monde et des rapports humains. De là aussi surviendront pour certains des réappropriations d'espaces dans le réel, à l'abri des futiles poursuites du bonheur innassouvissable des besoins matériels. Dream on..

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